L’art comme voie de passage
Guy Sioui Durand
28 Novembre 2011
Wendake
« Le mythe explique encore le monde. »
Guy Sioui Durand, Wendat
« Les artistes autochtones sont des chasseurs-chamans-guerriers », affirme le sociologue de l’art Guy Sioui Durand. Chasseurs, ils demeurent connectés au territoire et à la nature, à l’esprit des animaux et à l’écologie. Guerriers, ils articulent une critique politique et combattent les stéréotypes et l’appropriation. Chamans, ils ouvrent des passages entre le monde d’en bas et celui d’en haut. Héritiers d’une culture millénaire, ils savent que toute cérémonie prend racine dans un rapport au monde. C’est pour cela que leur pratique transcende l’art pour l’art.
Transcription
Intérieur. Près d’une fenêtre, Guy Sioui Durand est assis sur un sofa de velours rouge. Près de lui, sur le sofa, des livres et des revues d’art sont disposés. Au fond de la pièce, il y a une bibliothèque remplie de livres. Sur une table basse se trouve un panier en écorce de bouleau avec des motifs floraux et une tête de loup. Un second panier, beaucoup plus petit et réalisé en vannerie, est disposé à côté. Guy Sioui Durand porte un chandail de l’équipe de hockey de Chicago, les Blackhawks.
On doit respecter au-delà du romanticisme ou de la mélancolie, quand on dit la « Terre mère… », « Mother Earth... ». Déjà là, on sent un attachement pour l’environnement, l’écologie, le rapport du respect à la nature, pis beaucoup aimeraient l’amener rien qu’dans le rapport à la spiritualité. C’est en vogue, c’est à la mode. Mais, on pourrait le faire aussi avec une histoire planétaire. Et pourquoi pas cosmologique. On sait très bien que la pensée mythologique… Moi, je suis un de ceux qui prétend[ent] qu’le mythe explique encore le monde. Oui, la pensée rationnelle, oui mais, puisque je suis en arts, dans le monde de l’imaginaire, je retiens que les récits fondateurs, les mythologies, les légendes sont tout aussi importants pour créer le tissu culturel que, que la mesure du monde, la rationalité. Et, euh, pour donner un exemple de ça, pis j’vais partir l’histoire de, je dirais, dans les années 60.
Un chat arrive sur les genoux de Guy Sioui Durand.
Dans les années 60, autour de 64-65, y’a un artiste qui, à partir d’une ligne, à partir d’une ligne, pis après ça des coloris, fait une stupeur et révèle quelque chose d’incroyable, euh, en Amérique du Nord. Il révèle le monde chamanique. Norval Morisseau, que plusieurs considèrent comme le Riopelle moderne de l’art, lui qui a été élevé par ses grands-parents chamans. Par l’art, par ses dessins, par ses choses pis par ses traits, y va révéler ce qui n’a jamais appartenu aux anthropologues, aux ethnologues. Pourtant, y’a eu de toutes d’sortes de discours pour faire une anthropologie, une ethnologie, tout ça; par l’art, les coloris et tout ça, la vivacité du monde chamanique. Les passages entre les mondes.
Fondu au noir.
Pour la première fois, en 1967, dans une ville qui se transforme, les Québécois sont en leur propre modernisation de Révolution tranquille. Y va y’avoir Terre des hommes. J’ai parlé de « Terre mère », tantôt. L’Expo 67. Et pour la première fois, y va y’avoir un pavillon indien autonome du pavillon du Québec et du pavillon du Canada. Dix artistes vont illustrer, sont invités à orner et ce qui… Y va se passer des choses qui font que rien ne sera plus pareil après. Pourquoi? Parce que Norval Morisseau, tous les dix artistes, dont Jean-Marie Gros-Louis de Wendake, Tom Hill, Mohawk, euh… les frères Hunt, je pense, de la côte du Nord-Ouest qui viennent faire les totems et surtout Norval Morisseau et Alex Janvier, l’artiste déné, premier artiste abstrait amérindien, vont tous faire des œuvres d’art politiquement engagées qui pose la question : de nous sommes différents, distincts. Et pour la première fois, à la face du monde, Terre des hommes, Expo 67, le plus grand expo universel, le pavillon indien montre la réalité des Indiens telle que c’est sur les réserves des années 60 et non plus l’Indien inventé folklorique qui n’existe plus.
Fondu au noir.
Mais y’a aussi ceux que j’appelle les « chasseurs-chamans-guerriers », un néologisme pour parler des artistes. Chasseurs avec l’esprit des animaux, avec le territoire, avec le respect, l’écologie, l’environnement; les chamans, la dimension spirituelle, la dimension de guérison, mais la dimension aussi des passages et de la pensée mythologique; les guerriers, ceux qui peuvent faire la critique politique, ceux qui peuvent faire par l’ironie la critique des stéréotypes et la réappropriation… Ben, toute cette… Y’a toute une génération d’artistes qui, dans les années 1980, l’émergence, je parlais de Diane Robertson, qui sont en train de grandir : Édouard Poitras, Rebecca Belmore, une génération de plusieurs femmes.
Fondu au noir.
Oui, bien sûr, on met toujours les, les, l’extrême difficulté de ss… pour les Amérindiens, et surtout les communautés, on le voit avec le décrochage scolaire, on le voit avec les phénomènes de, de d’adaptation aux valeurs urbaines rapides euh… On le voit aussi avec le problème d’itinérance. On met toujours les accents là-dessus, mais si on mettait l’accent sur le bienfait que rapporte le rapport à la nature, le rapport à, à la nature compris comme en parle un Hubert Reeves, l’écosystème. Euh… Tantôt, c’est pourquoi j’ai voulu employé l’expression de la Lune et de la chose pour montrer ça aussi. Euh, le rapport aux animaux, le respect… Comment peut-on, dans des milieux ultrasavants, faire des cérémonies d’os brûlé en ne se souvenant pas que les anciens, si t’avais l’urgence de peut-être souffrir de la faim? Que quand t’as un orignal, tu tues neuf cents livres de viande. Tu peux faire trois mois… Quand l’troupeau est perdu et que tu d’mandes à la magie, tu d’mandes au chaman, tu d’mandes à l’esprit des animaux : « Guide-moi pour pas qu’on meure de faim. » T’as un état d’urgence, t’as un état de rapport au réel, t’as un état aussi, tu sais pourquoi tu fais ça, qui est pas uniquement « l’art pour l’art », comme je te disais.
La tente tremblante
Fred Kistabish
28 Juin 2010
Pikogan
« En algonquin, on appelle ça “mandoké”, qui veut dire “qui a un esprit très fort”. »
Fred Kistabish , Anishinabe
Entre les pôles positif et négatif du chamanisme, la ligne peut être fine et il est dangereux de la dépasser. En aucun cas, il ne faut être animé d’intentions malveillantes, car le chaman développe des pouvoirs extraordinaires qu’il ne peut utiliser que pour guérir ou apporter nourriture, énergie ou bien-être. Le grand-père de Fred Kistabish était chaman. Il pratiquait des rituels puissants, comme celui de la tente tremblante. « Il faut que tu aies vu ça pour le croire, assure Fred Kistabish. Je l’ai vu. »
Transcription
Très gros plan sur le visage de Fred Kistabish. Il n’y a que ses yeux et son nez à l’écran. Il porte des lunettes.
J’aimerais ça, peut-être, revenir un peu en arrière d’aujourd’hui. Mettons y’a à peu près, euh, mettons y’a 50 ans passés. Il y a des gens de notre première nation, de notre peuple, je sais pas comment c’que c’est. Je n’aime pas juger, j’aime pas analyser tout ça là, mais y’en a qui sont devenus, euh, je sais pas, vous autres, vous appelez ça des chamans, des sorciers. C’est devenu des gens très forts dans le domaine.
Zoom arrière. Tout le visage de Fred Kistabish est maintenant visible. Il porte un bandeau rouge et une chemise rayée bleu, blanc et jaune.
Ils faisaient des choses, euh, dans société, que c’était quasiment incroyable là, t’sais. Euh… J’ai vécu ça quand j’étais p’tit gars moi-là, ces choses-là. J’ai vu ça. Euh, dans les années 2011 là, mettons là, moi, j’ai 66 ans là. Quand j’avais mettons 7 ou 8 ans là. J’ai vécu ça. J’ai vu ça comment ça se faisait. Même mon grand-père à moi là me l’avait montré, euh, c’est quoi le processus pour devenir un chaman ou un sorcier, appelle-lé comme tu voudras là. Pis y m’a enseigné le… les étapes, comment faire. Mais, mes parents étaient tellement catholiques là qui m’ont, quand y’ont su que mon… que mes grands-parents m’montraient ça là, eux autres m’ont montré pour ne pas le faire : « Fais pas ça là. C’est, c’est pas à conseiller. C’est pas trop, trop « catholique. ». Si tu veux, d’une certaine façon.
Zoom arrière. Fred Kistabish est en plan rapproché. Le mur derrière lui présente un motif de branches.
Fait que la méthode, le mode de vie traditionnellement, spirituellement autochtone, a l’a complètement anéanti. Ça y’a pas eu de choses, mais que ceux-là qui ont continué à le vivre là, y faisaient des choses extraordinaires que, humainement, ça se peut pas.
Fondu au noir.
On appelle ça, en algonquin : anishinabe, « mandoké ». Mandoké qui veut dire, euh, « y’a un esprit très fort ». Pis y s’en sert pour, pour faire des choses avec ça. Il pouvait partir d’ici au moment où on s’parle, disons là, pis [s]'en aller à Washasibi en l’espace de quelques minutes là. T’sais veut dire là.
Fondu au noir.
Comme la spiritualité de le, le lever du soleil, la sudation, jouer du tambour. Ça faisait toute partie, avant d’arriver à des étapes plus loin. Ils appellent ça la « tente tremblante ». Euh, avant de, avant d’r’entrer dans la tente tremblante, l’individu y jeûnait sur un échafaud, dans airs. Plus longtemps qui reste dans airs, dans l’échafaud, à songer, plus il devenait fort. Pis là, il entrait dans la tente tremblante là. Y’a beaucoup de gens de nos, de nos peuples qui ont vu la, la tente tremblante là. Il était tout seul, l’individu là, dans la tente tremblante là, pis ça shake là! Tu vois ça trembler. Tout ça là. Faut qu’t’ailles vécu, faut qu’t’ailles vu ça pour le croire. Je l’ai vu.
Le chasseur et son protecteur
Jean-Baptiste Bellefleur
25 Octobre 2011
Unamen-Shipu
« Quand tu l’as trouvé, il ne te quitte plus. »
Jean-Baptiste Bellefleur, Innu
Avant de servir à rythmer les chants et les danses, le teueikan — tambour innu — était utilisé pour la chasse. Quand son groupe perdait la trace d’un troupeau de caribous, le grand-père de Jean-Baptiste Bellefleur sortait son tambour et chantait. Puis, il disait ce qu’il avait vu et indiquait la direction à prendre. Les caribous étaient là. Le tambour est un objet sacré. Il fait le lien avec le monde des esprits. Quand un chasseur en joue, il appelle auprès de lui son protecteur. Invisible aux yeux des autres, celui-ci l’accompagne et guide ses pas vers la nourriture.
Transcription
Entrevue réalisée avec Jean-Baptiste Bellefleur, traduite par Richard Mollen.
Près d’un mur de briques blanches, Jean-Baptiste Bellefleur est assis sur une chaise noire, stabilisant avec sa main un tambour traditionnel innu suspendu au plafond. Il porte une chemise bleue à carreaux et une casquette beige. Richard Mollen est à gauche, mais il n’apparaît pas dans le champ de la caméra. Plan serré sur Jean-Baptiste Bellefleur.
Richard Mollen
Le mieux, quand tu chantes, c’est dans une tente, une tente autochtone, parce que ton ami là, son ami qui, qui, qui veille sur lui peut facilement rentrer dans la tente, y dit : « Ici, son ami y va avoir de la misère à rentrer, il va chercher un endroit par où il peut rentrer vers lui. » C’est comme si, à l’intérieur de la structure en bois, on est emprisonné. L’autre ne peut pas rentrer nécessairement, comparativement à une tente qui est dehors. Son ami pourra être présent avec lui.
Intervieweur
OK. Euh, son ami là, c’est… ?
Richard Mollen et Jean-Baptiste Bellefleur
[Propos en langue innue.]
Gros plan sur Jean-Baptiste Bellefleur. Il n’y a que son visage à l’écran. Le bâton pour jouer du tambour, qu’il tient dans sa main droite, apparait à quelques reprises lorsqu’il gesticule.
Richard Mollen
Y dit : « Le chanteur, y’a un ami, mais qu’on ne voit jamais. Y’est tout le temps en arrière de lui. Y’est tout le temps en arrière de lui pour le protéger, pour aller avec lui dans ses chasses. » Mais, on y dit : « On le voit jamais, c’est son ami, son protecteur, comme on pourrait dire… »
Intervieweur
Un protecteur?
Richard Mollen
Oui, un protecteur…
Intervieweur
Le terme innu, c’est quoi?
Richard Mollen
Il a dit : « Nuitsheuan [mot en innu], son ami. »
Intervieweur
C’est son ami…
Richard Mollen
Oui.
Intervieweur
OK! Et il a un visage, y’a un corps… ?
Richard Mollen et Jean-Baptiste Bellefleur
[Propos en langue innue.]
Richard Mollen
Non. Il dit : « Non, y’est pas comme ça. »
Jean-Baptiste Bellefleur
[Propos en langue innue.]
Richard Mollen
Il dit : « Son, son ami, il le voit. », y dit. Le chanteur le voit comme quelqu’un qui se promène autour là qui, comme un oiseau là. Avant qu’y s’en aille vers quelque chose, mais il le voit comme ça son ami là. Il se promène, comme, comme je te dis… Une protection là.
Intervieweur
Mais, il le voit uniquement quand y joue du tambour, ou c’est tout le temps dans la vie quotidienne, tout le temps…
Richard Mollen et Jean-Baptiste Bellefleur
[Propos en langue innue.]
La caméra recule et bouge vers la droite pour montrer la main gauche de Jean-Baptiste Bellefleur qui tient le tambour. À gauche de l’écran, on voit sa main droite faisant aller de haut en bas le bâton du tambour, se préparant à le frapper. Le plan se rapproche lentement pour s’arrêter sur un gros plan de la main de Jean-Baptiste Bellefleur, qui stabilise le tambour en le tenant par un lacet de cuir situé au bas.
Richard Mollen
Y dit : « Peu importe, dans les activités quotidiennes, y est là. » Y dit : « Quand y’ont, quelqu’un a trouvé son ami. ». Y dit : « Même pour une chasse, tout le caribou se regroupe à la même place, pour aller le chercher au même endroit. » Y dit : « Son ami est là pour ça. On le voit pas. » Y dit : « C’est toute dans les, les petits travaux qu’y fait, pas nécessairement seulement en jouant. » Y dit : « Quand tu l’as trouvé, y ne te quitte pu. »
Intervieweur
Mais est-ce que c’est toi, joueur de tambour, qui choisit ton ami, ou est-ce que c’est ton ami qui te choisit?
Richard Mollen et Jean-Baptiste Bellefleur
[Propos en langue innue.]
Richard Mollen
OK. Y dit : « Je peux savoir qui qui va venir avec moi après avoir joué au tambour. » Y dit : « Je ne le sens pas là. Quand, après, quand j’aurai joué au tambour là, c’t’après ça qu’y devrait venir. »
Intervieweur
OK! Et là, est-ce qu’il voudrait le faire venir?
Richard Mollen et Jean-Baptiste Bellefleur
[Propos en langue innue.]
La caméra recule pour montrer Jean-Baptiste Bellefleur en plan rapproché. Il est à gauche de l’écran et, à droite, on voit sa main tenant le tambour suspendu.
Richard Mollen
Y dit : « Oui, j’peux, j’peux faire venir. » Mais, y dit : « Tu l’verras pas, toé. Tu l’verras pas. Lui peut être là, pis vous l’sentirez pas. Y’a juste moi qui va le voir et le sentir dans mon teueikan. »
Intervieweur
Dans le teueikan…
Richard Mollen
Dans le teuiekan, en faisant… en chantant. Y dit : « Je peux le faire venir, mais vous l’verrez pas. Vous en aurez même pas conscience qu’y’est là. » Y dit : « C’est moi qui va le savoir. »
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