Les cartes et le territoire
Allan Saganash
17 Juin 2011
Waswanipi
« Ils ne les utilisent pas parce qu’ils ne les comprennent pas. »
Allan Saganash, Eeyou
Quand il était chef, le grand-père d’Allan Saganash a vu arriver des Blancs, des prospecteurs, des gens qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant et qui faisaient fuir les animaux. Il parlait déjà de l’importance de protéger le territoire. Alors Allan Saganash prépare des cartes. Certaines demeurent secrètes et appartiennent aux familles. Elles indiquent les accès aux sentiers, la présence d’orignaux, les tanières d’ours et les secteurs de pêche. D’autres servent lors des discussions avec les compagnies forestières pour la planification des coupes. Elles mettent l’accent sur les lignes de trappe et les territoires où les familles vivent, chassent et pêchent. Quelques compagnies seulement les utilisent.
Transcription
Très gros plan sur des documents sur un bureau. Une résolution du Conseil cri de Waswanipi concernant les territoires protégés. Des mains tournent les pages, révélant une carte.
Allan Saganash
Alors, quand vous parlez de, euh… Vous l’avez eu? Lorsque vous parlez de, euh, la protéger, la protection, l’importance du territoire et son utilisation, nous devons faire un processus de cartographie où nous identifions les zones que nous utilisons en expliquant leur importance afin que les compagnies, les promoteurs forestiers, puissent savoir que ces zones importantes, elles viennent...
Toujours en gros plan, Allan Saganash déploie une autre carte et cache des éléments de légendes qui sont confidentiels.
Elles viennent avec les noms de famille, OK? C’est confidentiel. C’est pour ça que je les cache. Ça, par exemple, c’est une ligne de trappe. J’utilise la ligne de trappe de ma famille parce que je n’ai pas le droit d’utiliser les autres. J’ai eu le feu vert de mon frère pour l’utiliser pour l’entrevue. Ce que vous voyez ici… Tout est numéroté : où se trouvent les sentiers d’accès, où se trouvent les zones d’orignaux, les tanières d’ours, les zones de pêche. Et elles sont toutes numérotées. La légende ici montre ce qu’elles sont. Par exemple, le numéro un, c’est un campement permanent, OK?
Gros plan sur la légende. Une grille détaille les éléments numérotés.
Et ça décrit chaque zone.
Fondu au noir. Scène suivante. Gros plan sur les mains d’Allan Saganash montrant des éléments sur la carte. Des icônes de tentes, d’orignaux, d’ours et de sentiers de motoneige sont visibles.
Ce sont des camps cris. Voyez-vous les camps cris ici? Les lieux de sépulture, d’accord? Et tous les noms ici. C’est très, très, euh… C’est beaucoup d’informations condensées, mais les compagnies ne voient jamais cela. Elles ne voient jamais ce que c’est à cause de la confidentialité. Beaucoup de gens disent : « Je vais le faire. Je vais vous montrer où sont mes bonnes frayères, ou les zones d’orignaux, ou les tanières d’ours. » Mais vous ne voulez pas que tout le monde le sache, vous savez? Nous avons donc dû développer une autre carte appelée Carte d’aide à la planification forestière. OK?
Allan Saganash déploie une autre carte. La caméra continue de montrer un gros plan du bureau où les cartes sont empilées. La nouvelle carte montre également les sentiers de motoneige, mais aucune icône n’est affichée.
Cette carte d’aide à la planification forestière vous donne une idée de ce que c’est, mais ce sont des points distincts. Ils sont comme, euh, globaux.
Ils sont globaux. Par exemple, ces régions ici, on ne vous dit pas ce que c’est. On ne voit pas les tanières d’ours. On ne voit pas les zones d’orignaux. Elles sont globales. Comme ça, on ne sait pas ce que c’est. Si vous regardez cette carte, vous saurez ce que c’est par la légende. OK? Elles sont globales. C’est ce que, euh, ce que, euh, les compagnies utilisent, euh, mais seulement à la condition qu’elles ne donnent pas cette information à qui que ce soit d’autre. Alors, nous devons signer une entente. Vous l’utilisez seulement pour votre planification forestière. Vous ne pouvez pas la transmettre à un tiers. Et ils la conservent. Chaque entreprise possède donc cette carte.
La caméra se déplace vers la droite pour montrer un gros plan des clauses de confidentialité signées à droite de la carte, sous la légende.
Intervieweur
Est-ce qu’ils le respectent?
Allan Saganash
Quoi?
Intervieweur
Est-ce qu’ils le respectent?
Allan Saganash
Non. Et j’en arrivais là. Ils ne l’utilisent pas parce qu’ils ne le comprennent pas.
La caméra reste en gros plan, affichant les logos dans le coin inférieur droit de la carte. Elle revient aux mains d’Allan Saganash, au centre de la carte, où il y a une grille.
Ce qui est si difficile à faire comprendre, c’est qu’il s’agit d’une zone très importante. Et vous revenez et faites votre planification forestière en disant : « C’est important, alors je vais avoir une méthode différente de planification ici. C’est une zone sensible. Je vais faire de la coupe en mosaïque où je peux laisser un peu, euh, de la forêt résiduelle, les choses comme ça. » Mais ils ne le font pas. Beaucoup d’entre eux ne le font pas. Certains le font. C’est, euh… Ça a coûté beaucoup d’argent pour faire ce recensement parce que cela représente 62 lignes de trappe. Et j’ai dû engager des gens pour déterminer l’importance de ces lignes de trappe. L’utilisation du territoire, et tout cela, est consignée ici.
Très gros plan sur le visage d’Allan Saganash.
Et, malgré tout, ils ont ça. Ils savent où sont toutes les zones. Nous utilisons cette carte pour notre argumentaire, pour étendre les zones tampons sur les plans d’eau. On leur dit : « Les plans d’eau sont la partie la plus importante des lignes de trappe pour les Cris parce que c’est là qu’ils vivent. C’est là qu’ils chassent, pêchent et trappent. »
Zoom arrière et retour sur un gros plan de la carte.
Et, pourtant, ils ne semblent pas comprendre ça. Leurs activités sont la pêche dans l’eau. Oui, mais pour un Cri, ça va beaucoup plus loin que ça.
La caméra quitte le gros plan sur Allan Saganash. Il porte une chemise rouge. Derrière lui se trouve une étagère remplie de classeurs numérotés.
Comme je l’ai dit, dans le passé, dans la génération de mon père et de son grand-père, il y a eu très peu de développement pour le territoire. Et, pourtant, ils parlaient tout de même de protéger cette région. Mon grand-père était chef à l’époque. Il y a 75 ans, il parlait déjà de l’importance du territoire et de ce qui devrait être fait.
En territoire, il n’y a pas de panneaux DANGER
Tite McKenzie
4 Mars 2011
Matimekush-Lac John
« L’hiver, c’est blanc, mais l’été c’est rouge ! »
Tite McKenzie, Innu
Les peuples autochtones occupent le territoire depuis des millénaires ; les compagnies viennent et souvent s’en vont. Elles laissent derrière elles des installations désaffectées, bien visibles, et beaucoup de matières invisibles. Elles sèment des panneaux DANGER, mais n’indiquent pas de quels dangers, actuels et futurs, il faut se protéger. Tite McKenzie a été témoin de la fermeture d’une mine et de la ville qu’elle avait fait naître : Shefferville. Il a vu la population partir ; il est resté. Il sait qu’en territoire, il y a la terre, celle que ses ancêtres ont foulée et sur laquelle il n’y a pas de panneaux DANGER.
Transcription
À l’intérieur d’une automobile en mouvement, Tite McKenzie est au volant. La caméra est installée du côté passager, en contre-plongée. Des arbres et un territoire enneigé défilent par la fenêtre.
Intervieweur
Encore une fois, la question : euh, en 83, quand la… les mines ont fermé, ça, ça, ça se passait comment?
Tite McKenzie
Ç’a fermé en 82, si je m’trompe pas. Oui, ç’a fermé en 82. Mais, qu’est-ce qui s’est passé… C’est sûr que les stations de radi… les stations de télévision pis sont venues icitte pour, pour filmer, euh, comment qu’les gens prenaient ça. Mais ils filmaient surtout dans, dans la communauté blanche que filmer dans la communauté autochtone. Comment les Blancs prenaient ça. Ben, j’ai regardé le documentaire, les gens qui pleuraient, y savaient pas où aller, y perdaient leurs jobs.
Intervieweur
Pis vous autres, les Innus, y ne sont pas venus vous demander comment vous vous sentiez pis qu’est-ce q… ?
Tite McKenzie
Non. Nous autres, on ne pleurait pas. Pis on attendait, on attendait ce qui va se passer. Tu voyais l’monde partir.
Intervieweur
Le, le village, la ville… Schefferville s’est vidée en combien de temps? Des Blancs, j’veux dire, qui sont partis… Sont partis assez vite… Sont partis, euh…
Tite McKenzie
S’est vidée en peut-être… en 2, en 2 ans, 3 ans, p’être. Y’avait pas beaucoup de gens, de non-autochtones, qui restaient. Peut-être 150 personnes. Eux autres, c’étaient des Naskapis pis des Montagnais, peut-être, les 1 500 autochtones qui restaient. Ç’a pas trop… Ç’a affecté point de vue travail, mais ça leur donnait la chance de chasser. Comme le caribou, il pouvait approcher plus du village que autant d’la ville. C’était leur espoir de rester. C’est ça qui y pouvaient chasser pis... On les a encouragés à rester. Trente ans. Pendant 30 ans ç’a, ç’a été comme ça. Ç’a été le même scénario chaque année. Maintenant que… qu’y ont le Plan Nord, le monde va revenir. Pour partir quand? Je l’sais pas.
Fondu au noir.
Tite McKenzie se tient à droite d’un panneau de signalisation jaune en forme de losange sur lequel est écrit le mot Danger en syllabique naskapi, en français et en innu (Kushtakuan). Au loin, des trous de mines couverts de neige, quelques rochers et quelques arbres sont visibles. Des fils électriques traversent l’écran de gauche à droite.
Tite McKenzie
Tu vois ce panneau marqué Danger? Pis après ce panneau, qu’est-ce qui a? Danger. Pis après l’danger, c’est quoi qui a? Nos terres! Y’a encore… Y’existe encore nos terres où il n’y a pas de danger à y’aller. C’est pour ça que j’t’ai dit qu’après l’panneau, y’a encore quelque chose.
Tite McKenzie tourne le dos à la caméra et regarde le panneau.
L'argent
Richard Mollen
27 Octobre 2011
Unamen-Shipu
« En nature, il n’y a pas de redevances. »
Richard Mollen, Innu
Les projets de développement industriel ou hydroélectrique font l’objet de négociations entre leurs promoteurs et les communautés autochtones touchées. Les redevances proposées sont alléchantes, car elles peuvent améliorer les conditions de vie. Mais elles ont un prix. « L’argent détruit », constate Richard Mollen. Il effrite les solidarités et divise les forces. Il teinte les discussions de sa couleur. On en vient à oublier qu’en nature, il n’y a pas de redevances et que l’entraide n’a pas de prix.
Transcription
Richard Mollen est assis au volant d’une automobile stationnée. Des conifères et des rochers sont visibles par la fenêtre. Le pare-brise est recouvert de pluie. Les essuie-glaces fonctionnent.
Richard Mollen
Ah! J’en ris des fois, mais.... C’est dur de, de, de vouloir essayer de régler ça, pis quand, quand, quand tout le village se ferme les yeux parce que c’est son cousin, c’est son frère, c’est… Et s’y lui arrive de quoi, il va aller en prison, et ses enfants pourront pas manger. Pis nous autres ce qu’on a subit? Notre argent qui est parti ailleurs. Moi, l’argent de mes filles qui aurait servi à leur éducation et que moi je suis obligé de défrayer maintenant de mes propres poches. On, on a des programmes au fédéral qui disent qu’un autochtone doit être, doit être éduqué. On va [lui] envoyer de l’argent au conseil de bande et il va le distribuer, tout en pensant qu’eux autres, le conseil de bande le distribuait comme y voudrait. C’est pas ça, le gouvernement. Réveillez-vous! Regardez! On a même, genre… On dit tout le temps au ministère : « Venez donc regarder nos conseils de bande. » Y nous laisse à nous autres-mêmes. Moi, dans mon opinion : « Ah! On va laisser les autochtones se gérer eux autres-mêmes, se creuser dans leur déficit, s’entredéchirer… ». Et pis qu’un jour, un moment donné, y vont arriver : « Eille! J’t’ai donné tant d’argent toutes ces années-là. T’as pas su le gérer là. J’te prends. T’es en tutelle. » Est-ce que le gouvernement va en arriver là? Pourtant, on dénonce ben des affaires qui sont pas légales. Y s’en occupe pas!
Intervieweur
Ben, c’est ça. Peut-être qu’y le savent, mais que ça fait leur affaire aussi là!
Richard Mollen
C’est ça. J’ai tout le temps dit… Regarde, on avait, nous autres, dans nos organisations autochtones, un bureau qui, qui nous défendait sur les droits territoriaux, mais là, y’a des conflits avec les barrages, les barrages comme rivière Romaine, qui nous… qui [ont] détruit cette union-là parce que Mingan a eu tel montant, Natashquan a eu tel montant… T’sais, l’argent nous détruit. L’argent nous fait séparer. Là, on a même pas de bureau qui défend nos territoires, donc le gouvernement y peut agir comme y veut. Y’a un autre projet qui s’en vient. La route là. Y disent qui veulent nous désenclaver, emmener l’électricité parce qu’à la Romaine, on est pas reliés, on est [fournis en énergie] par des génératrices.
La caméra se tourne vers la droite pour montrer, à travers le pare-brise, les roches et les arbres devant la voiture.
Eux autres, y’ont comme brisé… « On va emmener les poteaux électriques pour relier au réseau. » Mais le but de ça, ce qui est caché en arrière, c’est qu’y veulent emmener la route sur la rivière Mécatina, un autre barrage qui est prévu d’être fait. On a déjà rencontré la société d’État Hydro-Québec. Y nous… On a même… On avait même eu, en 2007, des plans où c’que les barrages, les futurs barrages et turbines, allaient être placés sur la rivière Mécatina. T’sais, c’est un projet qui est sur la table. Ça fait des années. La journée qui vont décider « on le fait! », on aura pu le droit… On pourra même pas, en étant autochtones, empêcher la réalisation de ce projet-là. Parce qu’étant donné qu’on est tous chacun de notre bord. Une personne seule n’est pas forte. Quand tu es réuni, trois-quatre, t’as la force. T’as au moins une force, un impact. Mais là, actuellement, tous nos conseils de bande sont « chacun pour soi », pis… Donc, le gouvernement y fait ce qu’y veut.
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